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Le Bureau des Sabotages
28 décembre 2009

Dylan le Gothique, Dylan le Prêcheur: John Wesley Harding et la naissance du country-rock

Le Révolutionnaire Dylan dont les amateurs de folk de la fin des sixties vénéraient le nom fut également le grand profanateur d’une musique qui devenait une institution figée de la contre-culture.
Histoire d’une révolution dans la révolution qui fit de Dylan le dernier des Anciens et le premier des Modernes .




Dylan en femme , Dylan en enfant noir,Dylan en pasteur. Autant d’ incarnations inattendues du mythe Dylan imaginées par Todd Haynes , réalisateur de » I’m not there » Film essai sur Dylan sorti très récemment .

Autant d’images de l’universalité d’une musique , de son inépuisable capacité de ressourcement et un témoignage du sillon creusé au sein de l’histoire américaine. Voici le Message d’un film qui est l’occasion de retracer ce que fut le tournant Dylan.

Dylan est de ces artistes qui puisent dans une forme donnée, figée, la transcendance nécessaire pour en subvertir les cadres et transformer un carcan en forme supérieure de la liberté.

Nourri aux racines de la musique populaire américaine , l’approche de Dylan est résolument cubiste multipliant les angles de vue sur un même thème. Le critique Greil Marcus a ainsi pu écrire que Dylan était le « Picasso de notre musique ».

Les noms du panthéon dylanesque évoqueront peu de choses à beaucoup de gens, mais il suffira de rappeler que Blind lemon jefferson , maître du country blues , Leadbelly et Woody guthrie sont ses premières références. Dépasser les clivages raciaux ou musicaux pour devenirs des conteurs et des passeurs, voilà qui résume ces trois hommes.

  L’aventure des « Basement Tapes » fut l’intersection  où se produisit une inclinaison fondamentale de l’œuvre de Dylan.
Ces fameux enregistrements qui circuleront longtemps sous le manteau comme des samizdat du folk sont à la fois une fin et un commencement, une mort discrète à l’arrière plan de l’historiographie officielle préparant une renaissance ultérieure en pleine lumière avec « John Wesley Harding »
.
Dylan est enfermé, retiré tel un ermite, mais accompagné du Band à l’époque nommé Hawks, le groupe de Robbie Robertson, auxquels on doit l’immortel disque éponyme ainsi que l’album « Big Pink »baptisé précisément du nom de cette maison rose où se déroula l’une des expériences alchimiques les plus fondamentales de l’histoire de la pop.
Dylan ,revêche et blasé,  se lance dans des explorations et interprétations  canoniques qui alimenteront la critique savante .

On parle généralement des Basement Tapes comme de la pierre de rosette de la musique américaine, un outil qui donne les clés du langage qui s’y exprime. La maturation de ce travail sera souterraine et l’évolution de Dylan ne sera comprise que rétrospectivement
.
Il s’agit dans cette exploration d‘une sorte de nécessaire règlement de compte avec le Folk, de plongée dans s
ses abysses , une approche géologique et souterraine , une leçon donnée à ceux qui criaient à la trahison lorsqu’il électrisait ses guitares.

En Posant le jack , Dylan était devenu le prophète blasphémateur, l’iconoclaste absolu, le messie récalcitrant de cette musique Folk, nouveau Rimbaud à l’écriture musicale striée des Illuminations du psychédélisme .
Qu’on se souvienne de la bande son du concert de Manchester 66 où Dylan prendra une bordée d’injures et de sifflets auxquels il répliquera par cette simple phrase « play fuckin loud » adressée à son groupe ,bras d’honneur tendu à la face des puristes.
Le personnage a toujours eu avec son public un rapport acide autant que passionnel.

C’est ainsi que Dylan prit le Folk comme Baudelaire prit Malherbe et la poésie française : à revers et même à rebours par cette supérieure provocation qu’est le fait d’imposer une modernité agressive des thèmes au traditionalisme respectueux de la forme.

Cette évolution  ne fut comprise qu’en 1975 lorsque sortirent les enregistrements concernés.
Dylan était descendu à l’intérieur de lui même pour y trouver la pierre cachée.

Adieu au folk donc, après en avoir  réalisé l’édifice définitif et peut être la pierre tombale. 
Place à une autre confrontation plus fondamentale encore avec la Country en tout cas celle de Johnny Cash ou Merle Haggard et pas des emperruqués à franges du Nashville grand public. C’est ainsi qu’arrive John Wesley Harding , le grand album sombre , grisé comme la pochette bitumeuse, la vraie ballade au cœur des ténèbres qui délaisse les effluves psychédéliques pailletées volontiers bastringue de « Blonde on Blonde « .Une démarche probablement née de la libération des Basement tapes,puisque l’œuvre est le premier album postérieur .

Un chant de désolation et d’espoir où affleure une forme de fantastique musical , de merveilleux funèbre mêlé d’aridité ouest américaine, un gospel country folk, une prière immanente derrière un chant abrupt et minéral autant que plaintif perdu dans ses terres où rôde le mal, où le bourbon accompagne la prière, où les ombres de Tennesse williams et de Faulkner se donnent rendez vous pour discourir de la moiteur du désir sous les auspices d’un harmonica branlant et passablement faux que Dylan aime à nous infliger sans qu’inexplicablement on s’en lasse .

Un face à face avec la mort digne des contes orientaux se déroule ici en marge de l’errance romancée et les chansons se succèdent dans leur dénuement, leur pureté. Une forme de nudité sonore habite cette expérience janséniste d’intériorité et d’ascèse.

Ce disque est la bande-son idéale qui n’a jamais été composée pour « la nuit du chasseur »le film de charles Laughton , pour la contemplation du tableau « american Gothic » et pour la lecture de »la lettre écarlate « de Nathaniel Hawthorne » .Seul peut être Nick Cave saura retenir la leçon de l’album.

Que l’on entende la version originale de « All along the watchtower » incomparable à celle de Hendrix, qui l’a certes étirée a l’infini lui donnant une dimension cosmique, et l’on percevra un étonnant mélange de ballade nonchalante au rythme et à la déclamation distanciée mais un rien rageuse et sinueuse.
Que l’on médite « la ballade de frankie lee et judas priest « à la rigueur pascalienne.

Que l’on entende aussi le recueillement de « i dreamt i saw Saint augustine « ou bien « i pity the poor- immigrant » pleines de sollicitude désabusée qui résonnent comme des défis par leur sobriété digne au rock psychédélique californien dominant de l’époque.

L’œuvre oscille en permanence entre rythme laid back, rêverie altruiste, invocations divines signes d’ une colère rentrée, un côté Moïse brisant les tables de la loi, un désespoir contre lequel on lutte, une volonté de trouver un chemin vers la terre promise. L’inspiration biblique permanente des paroles reflétant ce mélange entre colère , violence et aspiration à la spiritualité, au désert, comme ultime paix de l’âme appelée avec ferveur, solitude pesante et poisseuse mais transcendée par un chant vers un ailleurs pas encore perceptible.

Comme le peuple d’Israel regardait le serpent d’airain pour être guéri , Dylan décide de lever les yeux vers le ciel pour comprendre quel sens avait sa vie , « John Wesley harding » en est le témoignage définitif , un retour aux racines et à l’authenticité qui n’a rien de passéiste mais au contraire était la condition nécessaire vers de nouvelles créations

Cette musique est religieuse, au vrai sens du terme : elle nous relie par le mystère de sa simplicité .

http://www.youtube.com/watch?v=F56DHDL_Htw#

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