Bill Evans au Village VANGUARD
une invitation à la sortie du corps vers un ailleurs rêvé, Tel est ce très grand classique qu’est ce live au Village Vanguard de
New York où Bill Evans, le pianiste le plus fin et le plus sensible
qu’ait jamais connu le Jazz se livre avec son plus célèbre trio à une
exploration fragile et sensible de standards ou de pièces de sa
composition.
Au milieu des toussotements, des verres brisés, on croirait presque
entendre le frottement délicat de la fumée des cigarettes de ceux qui
,ce soir là, vécurent une expérience presque religieuse car les sommets
qu’atteignirent les trois hommes relèvent de la mystique avec dans le
rôle de Saint Jean de la Croix Bill Evans et la nuit noire de ses
silences et de ses accords plaqués sur un piano qui semble en quête de
lumière.
Bill, soutenu , tiré , hissé vers ces cimes là par la contrebasse de
Scott Lafaro , le plus révolutionnaire de tous, comme un chant , un
grondement qui s’envole, dessine des esquisses , explore en solitaire
une nouvelle façon d’envisager l’instrument détaché du rôle rythmique
,naviguant en eaux troubles ,croisant par moment le ruissellements des
hoquets syncopés de Piano. Avec derrière tout ça, un grand architecte
de la batterie, Paul Motian et la soie du feulement de ses balais
caressant la peau des drums, heurtant les cymbales avec une rythmique
d’argent, alternant en alchimiste avec l’or des silences des autres
protagonistes de ce grand œuvre au rouge fusion et au noir de deuil.
Car cette musique n’est pas gaie , habitée par le fragile chant de ceux
que la vie a blessé et à qui elle ne laissera pas le temps de
guérir(LaFaro mourra à 24 ans), en témoigne la prière amoureuse de «
Waltz for Debby », les jardins suspendus de « Jade Visions » ou le funk
tragique de « Milestones ».
Ecouter ce « Village Vanguard », c’est toucher du doigt ce qui fait
l’essence de cette musique , ce rire au milieu des larmes , cette
inquiétude au cœur du rythme , cette fumée légère qui s’envole de
lèvres amoureuses, ce soupir bleuté qu’est le jazz .